Le silence au corps
France Martineau  1, *@  
1 : Université d'Ottawa
* : Auteur correspondant

Dans cette communication, je souhaite discuter des processus d'écriture du traumatisme dans deux de mes romans, Bonsoir la Muette (2016, éditions Sémaphore) et Ressacs (2019, éditions Sémaphore), afin de montrer la manière dont la mise en écriture du traumatisme a été adaptée en fonction d'un paradigme présence/absence.

Dans le premier roman, qui porte sur l'enfermement psychologique vécu comme conséquence directe d'agressions subies en milieu familial, j'explore une écriture « blanche » qui permet d'exprimer la violence du silence dans le creux des phrases. Le roman se construit à partir de tableaux qui se répondent à mesure que la mémoire construit et déconstruit le non-dit. Pa la fictionnalisation du sujet, les souvenirs sont amenés à changer et leur remémoration, par l'écriture, initie un rapport double (le souvenir réel et sa transposition en écriture), qui résulte en une tension.

Dans mon second roman, l'absence maternelle est convoquée paradoxalement par la présence d'objets. C'est donc un travail sur le rythme, qui est effectué. L'écriture se fait alors plus fluide, par réverbération de cette figure maternelle insaisissable. Dans ces deux récits, le corps est le lieu d'inscription de la violence ; corps violenté par la présence intrusive du père ; corps négligé par l'absence affective de la mère. La transgression du silence ne peut se résoudre que dans l'affrontement de la parole de l'Autre et la reconquête du corps dans sa présence au monde. Je discuterai en conclusion comment le processus d'écriture a été amorcé par mes recherches en sociolinguistique historique sur la reconstruction mémorielle et par les rapports entre famille et identité linguistique.

 

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Notice biographique

France Martineau est professeure éminente à l'Université d'Ottawa, directrice du Laboratoire Polyphonies du français, et membre de la Société Royale du Canada. Spécialiste de l'histoire du français, notamment du français nord-américain, elle s'intéresse à la reconstruction de la voix des gens ordinaires à date ancienne, par le biais de correspondances familiales, accessibles en ligne dans de vastes corpus qu'elle a élaborés (www.polyphonies.uottawa.ca; www.continent.uottawa.ca). Elle a notamment édité des journaux personnels dans des versions qui donnent à voir la complexité de cette écriture ordinaire (2011 [rééd. 2018] Incursion dans le Détroit. Journaille Commansé le 29 octobre 1765 pour Le voiage que je fais au Mis a Mis (avec M. Bénéteau); 2018 Les voyages de Charles Morin, charpentier canadien-français (avec Y. Frenette, en coll. avec V. Benoit).

France Martineau est aussi écrivaine. Elle a publié deux romans d'autofiction formant un diptyque, dans lesquels elle interroge la reconstruction de la mémoire fragmentée et le silence des familles : Bonsoir la Muette (2016, éditions Sémaphore) sur l'enfermement intérieur qu'elle a vécu suite à des agressions subies en milieu familial ; et Ressacs(2019, éditions Sémaphore) sur l'absence maternelle et le silence. Comment mettre en narration un traumatisme où ne subsiste, dans la mémoire, que vide et silence, ou alors parole trompeuse qui telle une norme ambiante, impose sa propre loi et sa propre histoire? La transgression du silence ne peut se résoudre que dans l'affrontement à la parole de l'Autre et la reconquête du corps dans sa présence au monde.



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