La capitale thaïlandaise devient subitement et exceptionnellement calme dans la fin d'après-‐midi du 13 octobre 2016, lorsque l'annonce de la mort du roi Rama IX devient le seul message diffusé sur les T.V. des échoppes. Les postes de radio et autres enceintes sont éteintes, les véhicules deviennent épars et des pleurs éclatent parfois. Ce premier silence est spontané, et s'assimile à un choc. C'est à partir de cet événement et de l'évolution dans les semaines qui ont suivies que je vais tenter de traiter les tenants, les effets et les répercussions d'un silence historique.
Immédiatement après le décès, le gouvernement décrète un deuil d'une durée d'un mois où toute la population devra se vêtir de noir ou de couleur sombre et où toute activité de divertissement sera suspendue. Le défunt roi a régné sur le pays pendant soixante-‐dix ans, il est un père pour beaucoup de thaïlandais et un être proche du statut divin pour la majorité de ces derniers. Quelque soit l'opinion de chacun, il est de toute façon impensable qu'une autre réaction que celle du deuil soit manifestée.
Le décès intervient à une période rituelle habituellement intense du calendrier, durant laquelle la musique festive occupe une place importante. C'était un silence assourdissant que de n'avoir aucune de ces musiques qui d'habitude font vrombir le pays. Le silence et l'absence forcent à une autre écoute. D'autres événements sonores se sont ainsi enchaînés ; j'ai pu enregistrer les sanglots au passage de la procession transportant le corps du roi. Immédiatement après le décès, d'intenses cérémonies ont également eu lieu pendant une durée de 100 jours, durant lesquelles des psalmodies de moines, mais aussi des orchestres qui m'étaient inconnus, jouaient des répertoires qui ne l'avaient apriori pas été depuis le décès du précédent roi (70 ans donc).
La musique non cérémonielle occupait une place plus ambiguë, elle était, par décret, interdite en tant que « divertissement ». Les artistes ont été pris de court, -‐ se préparant à une saison de concerts ininterrompue après la sortie du carême bouddhique‐, leur première réaction a été le mutisme. Pour une émotion aussi puissante que la perte du plus important des êtres humains et du « père d'une nation », aucun répertoire musical populaire existant ne pouvait pour l'heure décemment convenir. Mais moins de deux semaines après le décès, de nouvelles chansons étaient diffusées, très vite je constatai que ces nouveaux tubes ne chantaient qu'un unique thème : la mort du Roi, ses bienfaits et la tristesse de sa perte. Il n'a donc pas fallu attendre longtemps pour que la catégorie musicale qui convienne à l'occasion, -‐ catégorie jamais nommée telle quelle, manifeste et de toute façon contextuelle et unique -‐, ne soit diffusée largement (par exemple la chanson « Le ciel pleure » par les plus grandes stars de la musique populaire thaïlandais e: https://www.youtube.com/watch?v=Tn4nhsn0SLA).
Ce n'est qu'un an après que la plus grandiose encore, cérémonie de crémation n'ait eu lieu que les activités peuvent reprendre et le silence se dissoudre finalement.
Références bibliographiques
นนทพร อยูมั่งมี ธรรมเนียมพระบรมศพและพระศพเจานาย (On the customs surrounding royal and nobility funerals in Thailand) สํานักพิมพมติชน, 2559 (2016)
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Notice biographique
Je mène ma recherche doctorale sous le titre provisoire suivant : "Murs de son -‐ du sound system à l'effet, de la perception à l'affect (Phetchabun/Thaïlande)" sous la direction de Sabine Trebinjac (LESC/Nanterre) et Dana Rappoport (CASE/EHESS). A partir d'une anthropologie de la musique qui s'attache à distinguer musique et non-‐ musique, la recherche s'étend ensuite à une complexification de la notion de "non-‐ musique", c'est-‐à-‐dire une acoustémologie -‐ dans le sens d'une différenciation des catégories sonores -‐, notamment de la performance, de la réception et de l'efficacité des psalmodies (thaï : suat mon, sk : mantra) dans le bouddhisme pratique thaï.
Les différentes catégories sonores au sein des rituels et liturgies passent immanquablement dans les câbles de systèmes d'amplification, ou sound system. Je m'attache à décrire ce que ces technologies ont changé, ce que leurs utilisations gardent de conceptions antérieures du son et comment elles sont investies pour de nouvelles possibilités esthétiques.
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