Au bord de l'oralité. Faire silence dans un récit de migration
Richard Guedj  1  
1 : Centre de recherche sur les liens sociaux  (CERLIS - UMR 8070)  -  Site web
Université Paris Descartes - Paris 5 : UMR8070
Centre Universitaire des Saints-Pères 45 rue des Saints-Pères 75270 Paris cedex 06 -  France

Le silence participe de la signifiance dans le langage. Il est à la fois sémiotisé, objectivé, investi d'une fonction sociale, culturelle et symbolique antérieure à l'événement discursif, autant qu'il participe à l'organisation rythmique, singulière et subjective, hic et nunc, d'un discours (MESCHONNIC, 1982). Une matérialité double et paradoxale qui invite à questionner sans cesse les théories du langage et du discours.

À partir de discours recueillis dans le cadre d'une thèse sur l'alya — la migration juive vers Israël — nous proposons d'étudier et de questionner les temps de silence, leur historicité, leurs fonctions et leurs effets. Dans les motivations de départ, il est question de la mise sous silence, entre autres choses, des actes antisémites. Faits divers, faits silencieux, dans lesquels le silence mis en mots déborde la matière linguistique et contribue au processus de subjectivation dans le langage (DESSONS, 2006). Une oralité de l'écrit — ici, un post Facebook — que seule une approche poétique sera à même d'analyser. La force poétique du silence peut alors être pensée comme activité éthique, politique, et critique des théories du langage.

Nous évoquerons enfin d'autres discours, recueillis en 2013 à Mitzpe Ramon, petit ville de développement située au milieu du désert du Negev, en surplomb d'un immense cratère, en Israël. Là-bas, le silence est thématisé dans les discours et vient s'inscrire dans le paysage. C'est le silence du monde dont parlait Camus dans son mythe de Sisyphe. Les personnes rencontrées à Mitzpe Ramon — dont certaines ont précisément réalisé leur alya — abordent régulièrement la question du silence ambiant, qui apparaît parmi les motivations récurrentes dans le choix de cette singulière destination.

De là, nous tenterons de réfléchir à l'articulation possible ou impossible du silence subjectif d'un discours, au silence comme fait construit d'un paysage sonore. Puis nous évoquerons pour conclure la question de la mise en discours de l'Autre palestinien, et plus particulièrement de sa mise sous silence comme mise en absence, sous la forme de la non-personne il (Benveniste, 1966).

 

Références bibliographiques

BENVENISTE, Émile, Problèmes de linguistique générale, vol. 1 et 2, Gallimard, Paris, 1966 -1974.
BOUTET, Josiane ; MAINGUENEAU, Dominique, « Sociolinguistique et analyse de discours : façons de dire, façons de faire », Langage et société, n°114, 2005.
BUBER, Martin, Je et tu, Aubier, Paris, 1938.
CANUT, Cécile, « Pour une nouvelle approche des pratiques langagières », Cahiers dʼétudes africaines, Ed. de lʼEHESS, Paris, 2001.
DESSONS, Gérard, Émile Benveniste : l'invention du discours, Éditions In Press, Paris 2006.
DESSONS, Gérard, MESCHONNIC, Henri, Traité du rythme : des vers et des proses, Dunod, Paris, 1998.
FOUCAULT, Michel, L'Archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969.
HANKS, William F., « Explorations in the Deictic Field », Current Anthropology, n°46;2, 2005. KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, L'énonciation de la subjectivité dans le langage, Armand Colin, Paris, 1980.
LEFKOWITZ, Daniel, Words and Stones: The Politics of Language and Identity in Israel, Oxford University Press, New York, 2004.
LEVINAS, Emmanuel, Totalité et infini. Essai sur l'extériorité, Le Livre de Poche, Paris,1961. MARTIN, Serge, Langage et relation. Poétique de l'amour, L'Harmattan, Paris, 2006. MESCHONNIC, Henri, Critique du Rythme. Anthropologie historique du langage, Verdier, Lagrasse, 1982.
MESCHONNIC, Henri, Politique du rythme, politique du sujet, Verdier, Lagrasse, 1995. SILVERSTEIN, Mickaël, « Indexical order and the dialectics of sociolinguistic life », Language & Communication, n°23;3-4, 2003, pp.193-229.

 

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Notice biographique

Doctorant en sciences du langage de l'Université de Paris V – Cerlis, sous la direction de Cécile Canut, Richard Guedj est titulaire d'un Master en Philosophie contemporaine (Université de Lyon III, 2016) “Pour une anthropologie du langage : l'écoute du rythme avec Henri Meschonnic” et d'un Master en Sciences du langage (2011) “Rythmique du discours à Mitzpe Ramon, Israël”.



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