La politique du silence, 1800-1820
Cédric Audibert  1, *@  
1 : Centre Norbert Elias  (CNE)  -  Site web
CNRS : UMR8562, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Université d'Avignon
* : Auteur correspondant

Le but de cette contribution est de réfléchir au silence, au début du XIXe siècle, d'autorités peu enclines à nommer les opposants. En effet, elles ne mentionnent que de façon exceptionnelle « les partisans de la monarchie » pendant le Consulat, les « bonapartistes » ou les « républicains » sous le règne de Louis XVIII. Ce silence délibéré n'est pas seulement une manière de refuser d'entendre les adversaires politiques, il aussi leur négation. Et pourtant, les gouvernants ont la lourde tâche de les combattre. En effet, cette période troublée est marquée par des complots, des attentats ou des tentatives de coup d'État.

Le silence qui s'instaure progressivement après le 18 brumaire n'est pas le fruit d'une décision autoritaire du chef de l'État mais résulte de mécanismes et de processus complexes. Il est bel et bien le résultat d'une censure, un contrôle qui ne saurait être appréhendé uniquement à travers des dispositifs de surveillance et de répression. En province, les principaux dirigeants prennent ainsi naturellement fait et cause pour le pouvoir qui les a nommés. Si plusieurs d'entre eux brisent parfois le silence, ils peuvent être rappelés à l'ordre par leurs supérieurs hiérarchiques. Cette transgression résulte moins d'une opposition que d'une incompréhension, ou d'une incapacité à s'approprier les règles de l'écriture administrative.

 La plupart des sources utilisées afin d'étudier ce sujet émanent du pouvoir. Il s'agit d'une part des circulaires adressées par le ministère de l'Intérieur aux autorités départementales, d'autre part de la correspondance administrative entretenue par différentes préfectures. Celles des Côtes-d'Armor (Côtes-du-Nord), de la Drôme, du Nord et du Rhône serviront d'échantillons. Les lettres qu'elles destinent à plusieurs ministères ou aux édiles ainsi qu'aux autorités militaires et religieuses renseignent sur leur langage. Pour mieux saisir les tentatives de contrôle de l'espace public, on recourra ponctuellement aux articles de journaux, aux placards et aux discours destinés aux Français. Les correspondances et les écrits de fort privé ne seront pas non plus négligés car ils permettent un décentrement nécessaire pour éclairer les silences des autorités.

Puisque les gouvernants refusent de nommer clairement leurs adversaires mais qu'ils les combattent, il devient nécessaire de s'intéresser à leur langage en analysant les mots utilisés pour désigner les opposants et en étudiant les stratégies mises en place pour jeter sur eux le discrédit. Cette posture silencieuse contribue à dépolitiser l'espace public. Pour que la normativité du langage ne soit pas réductrice, il semble judicieux de faire varier les échelles de l'analyse et d'identifier les moments clefs au cours desquels le silence s'instaure ou se rompt. Le silence s'inscrit dans un contexte et son étude doit permettre in fine de reconstruire des temporalités mais aussi de révéler des attitudes plurielles – convergentes ou divergentes.

 

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Notice biographique

Cédric Audibert est enseignant, chercheur correspondant du Centre Norbert Élias (équipe HEMOC). Sa thèse intitulée Les Français vus par ceux qui les gouvernent (1800-1820) vient de paraître (2018). Il a notamment participé au Dictionnaire universel des créatrices (2013). Ses recherches portent sur l'histoire sociale et culturelle du politique. Elles portent notamment sur la distance, réelle et symbolique, qui séparent les Français du pouvoir.



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