Mafiacraft: ethnographie d'un silence qui tue
Déborah Puccio-Den  1@  
1 : Laboratoire dánthropologie des institutions et des organisations sociales/Equipe IIAC  (LAIOS-IIAC)  -  Site web
École des Hautes Études en Sciences Sociales, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR8177
54 Bvd Raspail 75270 PARIS CEDEX 06 -  France

Comment ethnographier un phénomène empeigné de silence tel que la « mafia » ? Quelles méthodes peuvent utiliser les anthropologues pour enquêter sur le silence et comprendre ainsi les mécanismes du déni, de l'indicible ou du non-dit ? L'ethnologue peut commencer en listant les conjectures et les spéculations qui entourent cette entité mystérieuse, en décrivant les actes (sociaux, judicaires ou graphiques) accomplis dans le but de rompre le silence qui entoure et empreigne ce phénomène, afin d'éclairer les multiples questions en jeu dans son indétermination (impunité, invisibilité, irreprésentabilité). Le présupposé méthodologique est que la mafia n'est pas un fait social fixé une fois pour toutes, prêt à être étudié ou « révélé » par les chercheurs, mais un événement cognitif façonné par le silence. C'est en essayant de produire une ethnographie sur ce qui a été dit et écrit sur un phénomène ontologiquement incertain qu'on peut réaliser le pouvoir créatif du silence, donnant consistance à des liens sociaux particuliers qui tirent leur force de leur indétermination. D'où la nécessité de créer un néologisme – Mafiacraft – que je proposerai comme un paradigme inversé de Witchcraft : là où ce dernier emphatise le pouvoir des mots, le premier illustre la force du silence. Quelle est sa force spécifique ? Comment est-ce qu'il existe, résiste, lutte ou capitule contre le pouvoir des mots ou la force du droit ?

Mafiacraft: an ethnography of deadly silence

 How to make an ethnography about such phenomenon as the “Mafia”, shrouded in silence? What methods might anthropologists use to investigate silence and understand the denied, the unspeakable, and the unspoken? The ethnographer can begin by indexing the conjectures and speculations surrounding this mysterious entity, describing the (social, judicial, or graphic) acts made in the attempt to break up the silence in and around this secret phenomenon, and exposing the manifold issues at stake regarding its indeterminacy (impunity, invisibility, irrepresentability). The methodological assumption is that the “Mafia” is not a social fact fixed once and for all, available for being studied or ‘exposed,' but a cognitive event shaped by silence. In the process of producing an ethnography of what has been said or written on this secret and uncertain phenomenon, one comes to realize the imaginative power of silence, giving consistency to special kinds of social links which draw their strength from indetermination. Hence, the need to coin a neologism, ‘Mafiacraft,' which I shall discuss as an inverted paradigm of ‘Witchcraft': while the latter emphasizes the power of words, the former highlights the strength of silence. What is that strength of silence? How does it resist, fight, or capitulate to the strength of words or to the force of law?

 Bibliographie sélective/ Select bibliography

Austin, John, L. 1970, Quand dire c'est faire, Paris, Éditions du Seuil.
Ben-Hounet, Yazid, Puccio-Den, Deborah, 2017, eds., Truth, Intentionality and Evidence. Anthropological approaches to Crime, New York, Routledge.Fraenkel, Béatrice. 2007, «Quand écrire c'est faire», Langage et Société, 121-122 (3), pp. 101-112.
Humphrey Caroline et James Laidlaw,1994, The Archetypal Actions of Ritual. A theory of ritual illustrated by the Jain rite of worship, Oxford, Clarendon Press.
Houseman, Michael, Severi, Carlo, 2009, Naven, ou le donner à voir, essai d'interprétation de l'action rituelle, Paris, Éditions de la maison des sciences de l'homme.
Izard, Michel et Pierre Smith, 1982, «Aspects of the Organisation of Rites», in Michel Izard et Paul Smith, eds, Between Beliefs and Transgression: Structuralist Essays in Religion, History and Myth, Chicago, University of Chicago Press.
Jamin, Jean, 1977, Les lois du silence. Essai sur la fonction sociale du secret, Paris, les Éditions François Maspero.
Mannoni, Octave, 1969, «Je sais bien mais quand même...», in Octave Mannoni, Clefs pour l'imaginaire ou l'Autre scène, Paris, Seuil, pp. 9-33.
Perret, Catherine, 2013, L'Enseignement de la torture. Réflexions sur Jean Améry, Paris, Seuil.
2019, Mafiacraft. An ethnography of deadly silence, HAU Books, Chicago University Press (sous presse).

 

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Notice bio-bibliographique

 Anthropologue, chercheur au CNRS, Deborah Puccio-Den est membre du LAIOS-IIAC, laboratoire de l'EHESS (Paris). Italienne, elle a conduit pendant plus de vingt ans des terrains sur la mafia et sur l'antimafia, et dirigé plusieurs ouvrages et numéros de revues sur des thèmes comme le secret, la responsabilité, l'action et l'intentionnalité, croisant l'anthropologie politique et morale avec les sciences cognitives et le droit. Elle tient à l'EHESS un séminaire intitulé « Anthropologie de la mafia. Pour une anthropologie politique du silence », et elle a récemment obtenu une habilitation à diriger des recherches sur le thème : « Ethnographier le silence : masques, statues mariales, mafia, nocturnité, danse kizomba ». Son premier ouvrage, issu de sa thèse, portait sur l'action rituelle dans construction du féminin (Deborah Puccio, Masques et dévoilements. Jeux du féminin dans les rituels carnavalesques et nuptiaux, Éditions du CNRS, 2002) ; son deuxième livre, sur l'expression sociale du non-dit dans des situations de guerre civile (Deborah Puccio-Den, Les théâtres de Maures et Chrétiens. Conflits politiques et dispositifs de réconciliation, Brepols, 2009). Son dernier manuscrit, Mafiacraft. An ethnography of deadly silence, est sous presse à HAU Books, Chicago University Press, et sortira courant 2019.

 Biographical and bibliographical note

 Deborah Puccio-Den is a political anthropologist and senior researcher at CNRS (National Center for Scientific Research), and member of the Laboratory of Anthropology of Institutions and Social Organizations (LAIOS-IIAC) at EHESS (Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris). Originally from Italy, she has been conducting fieldwork on Mafia and Anti-mafia in Sicily for over twenty years, and has coordinated several books and special journal issues on such subjects as secret, responsibility, action and intentionality, articulating moral and political anthropology, cognitive sciences and law. She holds a seminar at EHESS entitled “Anthropology of the Mafia: for a political anthropology of silence”, and she recently earned accreditation to supervise research (HDR) thanks to her research entitled: “Ethnographying the silence. Masks, holy statues, mafia, nocturnity and kizomba dancing”. She is the author of two books in French. The first one addresses the ritual action involved in the social construction of the female gender (Deborah Puccio, Masques et dévoilements. Jeux du féminin dans les rituels carnavalesques et nuptiaux, CNRS Editions, 2002); the second one tackles the social expression of the unspoken in a context of civil war (Deborah Puccio-Den, Les théâtres de Maures et Chrétiens. Conflits politiques et dispositifs de reconciliation, Espagne-Sicile, XVIIe-XIXe siècles, Brepols 2009). Her forthcoming book is entitled Mafiacraft. An ethnography of deadly silence (HAU Books, Chicago University Press, 2019).

 



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